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CHRONIQUE D'ETE 2007 |
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Tutorat
à distance, une fonction essentielle
Jaimerais commencer cette intervention en rappelant le titre dune communication dil y a déjà quelques années de Geneviève Jacquinot : « Le tutorat : pièce maîtresse et pourtant parent pauvre des systèmes et dispositifs de formation à distance ». Ce constat reste encore largement dactualité. Le tutorat est souvent la dernière chose à laquelle les concepteurs de dispositifs de FOAD sintéressent, préoccupés quils sont, par les solutions technologiques. Ce que jappelle la « dérive techniciste » nest pas nouvelle ni même spécifique au secteur de la formation en ligne. En formation à distance, elle trouve principalement son fondement dans loubli de ce qui caractérise toute situation de formation, léchange entre des personnes humaines. Cette dérive est suffisamment puissante pour que le tutorat ait été dernièrement étudié de manière privilégiée à travers la question de son industrialisation, c'est-à-dire sa massification, son automatisation et les économies déchelle qui en résulteraient. Il semble bien quil sagisse là, tout à la fois, dune réactualisation - mais est-elle crédible ? - de la promesse de réduction des coûts que les promoteurs de la FOAD transforment en argument commercial, mais aussi dune volonté plus ou moins consciente, dune chimère en quelque sorte, qui consisterait à évacuer de la formation en ligne tout facteur humain pour tendre à lautoportance intégrale des dispositifs au prétendu service de lautonomie de lapprenant. Le manque de prise en compte de la dimension tutorale dans les dispositifs de e-learning tient certainement aussi au fait quelle met à mal le modèle économique de ce type de formation. Alors quen présentiel, les coûts sont essentiellement variables et que la marge est difficile à augmenter quelle que soit le nombre dactions réalisées, la formation à distance impose de nombreux frais fixes assimilables à de linvestissement et minore les frais variables. Dès lors, il ne sagit plus que de recruter suffisamment dapprenants pour atteindre le seuil de rentabilité dune e-formation dont le dépassement procure laccroissement de la rentabilité. Or, le tutorat à distance, frais variable par excellence - le nombre de tuteurs devra par exemple être proportionnel au nombre dapprenants - remet partiellement en cause le modèle économique sur lequel est fondé le e-learning. Dautres difficultés, plus intrinsèques, freinent également le développement du tutorat à distance. De quoi parle-t-on lorsque lon évoque le tutorat à distance ? Quels sont ses objectifs ? Qui sont les tuteurs ? Sagit-il dune nouvelle professionnalité voire dune nouvelle profession ? La pauvreté du parent « tutorat » est sans aucun doute encore actuelle. Toutefois, depuis deux ans environ, il semble que les prestataires de e-learning, leurs clients, les institutions éducatives soient plus sensibles à cette question. Le temps imparti à cette communication ne permettra pas dapporter des réponses à toutes ces questions. Cest pourquoi jaborderai successivement les trois questions suivantes relatives aux tuteurs : Comment les faire adhérer au projet e-learning ? Quelles sont les nouvelles compétences de laccompagnement nécessaires à ces tuteurs ? Comment les tuteurs peuvent-il être formés ? Comme vous le constatez, ces interrogations sous-tendent que le tuteur nest pas encore un professionnel dans le sens où il nexerce pas de manière exclusive le métier de tuteur, que lon nest rarement tuteur mais quon le devient et ceci à partir de statuts de départ très différents : formateur, enseignant, tuteur dentreprise, technicien, expert métier, psychologue, étudiant, apprenant, etc.
Comment faire adhérer les tuteurs au projet e-learning ? Pour traiter de cette question, je pars de lhypothèse dune organisation ayant décidé la mise en place dun dispositif de e-learning et qui souhaite voir assurer un certain nombre dactions tutorales par plusieurs de ses salariés. Ceux-ci seront donc les personnes ressources auxquelles les salariés apprenants pourront avoir recours au cours de leur formation. En les associant et
non en les informant A ce moment de lexposé, il est nécessaire de préciser les différents éléments pédagogiques dune e-formation. Le premier, cest lenseignement, le métier de lenseignant, caractérisé par la conception et la mise à disposition de ressources médiatisées permettant à lapprenant de prendre contact avec son objet dapprentissage. Le deuxième, cest lapprentissage, le métier de lapprenant, qui regroupe lensemble des activités permettant à lapprenant de construire et de manipuler les connaissances. Le temps de lapprentissage, cest celui de la prise de connaissance des ressources denseignement, des exercices, des études de cas, des tests de connaissances, qui permettront à lapprenant datteindre les objectifs pédagogiques de la formation. Le troisième élément, cest le support à lapprentissage, le métier du tuteur, qui regroupe lensemble des interventions à destination de lapprenant qui lui faciliteront la réalisation des activités dapprentissage. Le quatrième et dernier, cest lévaluation, traduisant le résultat du processus pédagogique, rassemblant les activités telles que les QCM, la production de travaux, la résolution de cas, etc. Le rôle du tuteur se situe donc clairement lors de la phase de support à lapprentissage et souvent mais non de manière systématique lors de celle dévaluation. Cest souvent une vision linéaire de ces phases qui amène les concepteurs, les prestataires e-learning et les clients à reporter à la fin de la conception les décisions concernant le dimensionnement du tutorat ou ce qui serait plus exact de nommer la stratégie tutorale. Or, il ny a rien de moins linéaire quune conception pédagogique. Si les choix denseignement influent sur les formes que prend lapprentissage qui lui-même influe sur les interventions de support à lapprentissage et lévaluation, il est tout aussi vrai quune contrainte en matière de support à lapprentissage amène le concepteur à envisager différemment lapprentissage et donc les ressources denseignement sur lesquelles il porte.
Dans la mesure où le processus de conception de dispositifs de FOAD est non linéaire, il est primordial de ne pas se limiter à une simple information des salariés destinés à être tuteurs dans une e-formation mais de les associer le plus tôt possible à la conduite du projet et ceci dès les premiers temps de la conception. Cest parce que leurs caractéristiques seront prises en compte mais aussi parce quils pourront participer, en fonction des qualités qui sont les leurs et pour lesquelles ils ont été choisis comme tuteurs, au dimensionnement de leurs fonctions tutorales que le facteur humain restera au cur de lacte de formation. Cest aussi parce quils auront ainsi une connaissance approfondie du projet quils en deviendront les meilleurs ambassadeurs auprès des futurs apprenants. Associer les tuteurs et non se limiter à les informer est une des premières conditions de leur adhésion au projet e-learning. Cette association est également de nature à faire émerger, et donc en permettre le traitement, des réserves ou des inquiétudes que lintroduction dune nouvelle forme de formation peut provoquer dans lorganisation. Ainsi, parce que les futurs tuteurs seront les interfaces entre le dispositif et les apprenants et parce quils seront les premiers interlocuteurs de ceux-ci, il est important den faire des vecteurs de la politique de conduite de changement qui constitue sinon un gage de réussite du moins un élément favorable à lacceptation du dispositif e-learning au sein de lorganisation. En positionnant
lintervention tutorale comme un élément
de leur progression professionnelle Outre, les ajustements en terme de charge de travail pour ces personnels, la question tutorale peut également exiger dautres prises de décision sur les orientations professionnelles des tuteurs. Tel chef de service, par son expérience de tuteur peut être amené à reconsidérer son style de management, tel cadre senior peut envisager sa fin de carrière au service de la transmission de son savoir faire, tel formateur peut se spécialiser dans les animations de FOAD, etc. En leur donnant les
moyens de se former En leur donnant les
moyens deffectuer leurs interventions tutorales dans
de bonnes conditions La communautés de pratiques de tuteurs à distance, t@d, que janime depuis 4 ans et qui regroupe 150 personnes dune quinzaine de pays francophones sest attachée à produire une grille dévaluation des conditions de travail du tuteur à distance. Cette grille ne se veut pas tant une prescription quun outil permettant aux organisations et aux tuteurs de sinterroger sur leurs conditions de travail. Cf. « Grille dévaluation des conditions de travail des tuteurs à distance »
Les nouvelles compétences de laccompagnement Les rôles et
fonctions des tuteurs à distance Le tutorat est une modalité dencadrement. C'est-à-dire que comme tout cadre, le tuteur formule des objectifs et des contraintes, organise les moyens à mettre en uvre pour atteindre les buts visés, modère afin dassurer la persévérance et la centration sur ces mêmes objectifs, évalue les productions, régule et met à jour les stratégies utilisées. Le tutorat se veut être une relation daide. C'est-à-dire que le tuteur se met au service de lapprenant non pas en reproduisant la figure professorale mais quau contraire il va axer ses interventions tout au long du parcours dapprentissage de lapprenant. A cet égard, il lui faudra bien plus développer des compétences découte et dempathie que de transmetteur de connaissances. La mise en place du tutorat vise à réduire labandon ou léchec. Il sagit bien là de la vocation première du tuteur au service des apprenants. Outre la dimension presque commerciale de cet objectif un client fidélisé cest dabord un client satisfait et donc un apprenant fidélisé cest un apprenant qui persévère et qui réussit il sagit bien de passer dune vision de soutien collectif à une assistance individuelle et personnalisée. Les tâches de tutorat sont variées, dépendent du contexte et des options organisationnelles et pédagogiques. Cela nous renseigne sur la difficulté à définir de manière générique le tuteur. Dune e-formation à lautre, dun organisme à lautre, les attentes tutorales sont différentes. Ces attentes varient également beaucoup selon les personnes qui les formulent : linstitution, le concepteur, le tuteur, les apprenants. Le tutorat consiste pour un tuteur à établir, à développer et à ajuster sa relation daide avec le tutoré. Cette relation daide na dautre cadre et rythme que ceux de la formation. Elle sinscrit tantôt dans une dimension collective et relève alors en grande partie de la dynamique de groupe tantôt dans une dimension strictement individuelle. Elle relève également de deux temporalités distinctes selon les outils de communication employés, synchrones comme la visioconférence, le téléphone ou le chat ou asynchrone comme le mail ou le forum. Le tuteur peut être secondé dans son encadrement par dautres personnes ou des outils. C'est-à-dire que bien plus de penser le tutorat à travers la seule figure du tuteur homme orchestre jouant les différentes partitions des rôles successifs quil endosse, il est nécessaire de penser lenvironnement global de la formation comme un système tutoral, à la manière de ce que les organisations mettent en place dans une démarche qualité. Après ces quelques éclairages sur le tutorat et le tuteur, et afin de traiter des fonctions qui peuvent être celle du tuteur, il me semble utile de sintéresser aux différents plans de support à lapprentissage qui sont les champs dintervention du tuteur auprès des apprenants. En mettant davantage laccent sur la relation tuteur-apprenant que sur la relation tuteur-institution, je ne veux pas reléguer celle-ci au second plan. Elle est importante, notamment comme nous lavons vu, en ce qui concerne les conditions de travail, mais également à travers ces aspects contractuels, statutaires ou encore hiérarchiques. A elle seule, cette relation tuteur-insitution mériterait une autre communication que celle de ce jour. Les plans de
support à lapprentissage Le cognitif renvoie au contenu disciplinaire présenté par les ressources denseignement, au soutien méthodologique des apprenants qui vise à leur faciliter la mise en uvre de stratégies dapprentissage, laide technique pour naviguer harmonieusement dans le dispositif e-learning, la transmission dinformations administratives, académique et/ou commerciales selon les organisations dispensatrices. Le socio-affectif regroupe les interventions du tuteur visant à lutter contre le sentiment et/ou la matérialité de lisolement de lapprenant. Dautres démarches socio-affectives du tuteur visent à ce que lapprenant atteigne un objectif qui est largement transversale à toute formation en ligne, laccroissement de son autonomie. En effet, lautonomie ne peut se résumer à être un préalable demandé aux apprenants. Dans le cadre de formations basées sur une approche collaborative, et celle-ci est de plus en plus fréquente, le tuteur doit également agir comme un facilitateur entre les apprenants. Le motivationnel est un troisième plan de support à lapprentissage qui vise à encourager la persévérance à la formation et à prévenir labandon. Le tuteur, ne doit pas se limiter à intervenir comme aiguillon et relais des stratégies de motivation extrinsèque mais doit également agir de manière à ce que lapprenant renforce sa motivation intrinsèque. Ceci est particulièrement nécessaire lorsque lapprenant narrivant plus à faire face à ses difficultés dapprentissage envisage labandon. Le tuteur ne devrait pas non plus être avare dencouragements et de félicitations car le renvoi seul de lapprenant à ces erreurs ou à ces échecs est profondément démotivant pour de nombreuses personnes. Le métacognitif renvoie à lensemble des activités que lapprenant devrait réaliser pour avoir un regard distancié sur sa formation. Cest cette prise de distance qui peut favoriser laccroissement de son autonomie. Le tuteur doit donc favoriser la posture métacognitive de lapprenant en facilitant la planification du parcours dapprentissage, lévaluation des stratégies dapprentissage ainsi que lautoévaluation de lapprenant.
Les
modalités dintervention Quelque soit la modalité dintervention du tuteur, celle-ci doit être interrogée au préalable. Le débat entre les tenants de la proactivité, c'est-à-dire du contact de lapprenant à linitiative du tuteur ou de la réactivité, là cest lapprenant qui contacte le tuteur, a fait couler beaucoup dencre ces dernières années. En simplifiant il est possible de résumer leurs arguments de la sorte. Pour les uns, le tuteur doit dynamiser la relation en devançant lexpression des besoins des apprenants, pour les autres, lobjectif daccroissement de lautonomie de lapprenant implique de laisser celui-ci formuler ces attentes tutorales. Comme souvent, la réalité se révèle plus complexe que ces tentatives de modélisation des interventions tutorales. Il est utile davoir à la fois des actions proactives et dautres réactives. Si le choix entre les unes et les autres dépend fortement des caractéristiques individuelles de lapprenant, lexpérience montre que la première prise de contact gagne à être proactive. De même, lors déchéances particulières du parcours de formation, fin de module, dates de remises de travaux, informations académiques ou techniques, lémission de message en direction des apprenants est efficace pour entretenir la persévérance de lapprenant. Les interventions réactives sont davantage adaptées sur le plan cognitif, afin que le tuteur formule des réponses personnalisées en fonction des difficultés de compréhension du contenu disciplinaire. Quoi quil en soit, le tuteur devra toujours se poser la question suivante : est-ce que jen fais assez, est-ce que je nen fais pas trop ? Les modalités dintervention sont également liées aux outils qui les supportent. Ceux-ci sont-ils synchrones, en temps réel ou asynchrones, en temps différé ? Lurgence du besoin de communiquer avec lapprenant est un premier guide pour choisir le bon outil. Il va de soi que le choix dune modalité dintervention doit également tenir compte de laccès et de la maîtrise de loutil de communication par lapprenant. Dautres éléments comme lutilité de la permanence du message, de la forme communicationnelle, unidirectionnelle, bidirectionnelle, multidirectionnelle interviennent également dans le choix de loutil au service de la relation tutorale. Les
compétences
Les compétences pédagogiques renvoient aux connaissances et savoir-faire de formateur du tuteur. Il sagit tout à la fois et de manière non exhaustive de savoir bâtir des activités dapprentissage, danimer un groupe dapprenants, de faciliter lautonomie des apprenants et dencourager la posture métacognitive. Les compétences disciplinaires traduisent le niveau dexpertise sur le sujet de la formation, la capacité du tuteur à répondre aux questions sur le contenu du cours et à fournir des informations ou à indiquer des ressources complémentaires au ressources denseignement du dispositif, de corriger et de rétroagir aux productions des apprenants Les compétences techniques sont celles que le tuteur doit développer par rapport aux technologies constitutives de lenvironnement de formation. Sans être un expert, le tuteur doit être un utilisateur de bon niveau et ce dautant plus quil peut lui être confié certaines tâches dadministration du dispositif e-learning. Il doit précisément identifier ce quil connaît et ce quil ne connaît pas sur le plan technique afin de pouvoir soit répondre rapidement à lapprenant soit rediriger celui-ci vers une personne compétente. Les compétences relationnelles renvoient au savoir-faire comportemental du tuteur, à sa capacité de négociation et de résolution des conflits tant avec un individu quau sein dun groupe, à sa prédisposition à lécoute et à lempathie, à sa maîtrise des processus motivationnels et sa compréhension de la dimension socio-affective. Il est important de noter que si le tuteur développe une relation daide envers les apprenants, il doit se garder de prendre une posture psychologisante ou compassionnelle. Tiré de Distances et savoirs. Volume 1 n°1/2003
3. Comment les former ? Je terminerai cette communication en évoquant la question de la formation des tuteurs. Si il existe sur le marché quelques formations de formateur qui prennent en compte les fonctions tutorales comme le dispositif Net-trainers, les formations de tuteurs sont élaborées la plupart du temps en fonction du contexte particulier dune organisation. Quelques consultants, comme moi-même, interviennent sur ce type de formations et je constate que la demande bien quencore relativement modeste tend à croître. Formation
pédagogique et technique Si la formation aux technologies du dispositif e-learning est spécifique, des besoins de formation plus transversaux sur les usages pédagogiques des médias se font jour également. Comment animer un forum ? Dans quelle situation et pour quels objectifs pédagogiques utiliser le chat ou la visioconférence ? Comment constituer une FAQ qui ne devienne pas un fourre-tout ? Les besoins de formation sur le plan pédagogique sinscrivent forcément dans le cadre plus vaste de la formation de formateur et des sciences de léducation. Ils relèvent autant de lingénierie pédagogique, savoir bâtir des activités dapprentissage ou concevoir un scénario de formation, que des techniques danimation à distance telles que savoir faire collaborer un groupe, formuler des rétroactions aux travaux qui soient formatives, etc. Leur faire
expérimenter la posture dapprenant à
distance Un essai de
modélisation de la formation de tuteurs à
distance
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communautés de pratiques Projet de recherche
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